lundi 15 février 2016

Le mot de passe est...

LA POTERNE DU LOUVRE.


Ce nain était paresseux, fantasque, méchant ; mais il était fidèle, et ses services étaient agréables à son maître.
Walter Scott. — Le lai du ménestrel.


Le Louvre in Les Très Riches Heures du Duc de Berry, XVe siècle.

Cette petite lumière avait traversé la Seine gelée, sous la tour de Nesle, et maintenant elle n’était plus éloignée que d’une centaine de pas, dansant parmi le brouillard, ô prodige infernal ! avec un grésillement semblable à un rire moqueur.
« Qui est-ce là ? » cria le suisse de garde au guichet de la poterne du Louvre.
La petite lumière se hâtait d’approcher et ne se hâtait pas de répondre. Mais bientôt apparut une figure de nabot habillée d’une tunique à paillettes d’or et coiffée d’un bonnet à grelot d’argent, dont la main balançait un rouge lumignon dans les losanges vitrés d’une lanterne.
« Qui est-ce là ? » répéta le suisse d’une voix tremblante, son arquebuse couchée en joue.
Le nain moucha la bougie de sa lanterne, et l’arquebusier distingua des traits ridés et amaigris, des yeux brillants de malice et une barbe blanche de givre.
« Ohé ! ohé ! l’ami, gardez-vous bien de bouter le feu à votre escopette. Là, là ! sang de Dieu ! Vous ne respirez que morts et carnage ! s’écria le nain d’une voix non moins émue que celle du montagnard.
— L’ami vous-même ! Ouf ! Mais qui donc êtes-vous ? » demanda le suisse un peu rassuré. Et il replaçait à son chapeau de fer la mèche de son arquebuse. 
— « Mon père est le roi Nacbuc et ma mère la reine Nacbuca. Ioup ! ioup ! ioup ! » répondit le nain, tirant la langue d’un empan et pirouettant deux tours sur un pied.
Cette fois le soudard claqua des dents. Heureusement il se ressouvint qu’il avait un chapelet pendu à son ceinturon de buffle.
— « Si votre père est le roi Nacbuc, pater noster, et votre mère la reine Nacbuca, qui es in cælis, vous êtes donc le diable, sanctificetur nomen tuum ? balbutia-t-il à demi-mort de frayeur.
— Eh non ! dit le porte-falot, je suis le nain de Monseigneur le roi qui arrive cette nuit de Compiègne, et qui me dépêche devant pour faire ouvrir la poterne du Louvre. Le mot de passe est : Dame Anne de Bretagne et saint Aubin du Cormier. »

Aloysus Bertrand in Gaspard de la nuit, éd. Mercure de France, 1920.